Pierre Pharabod

Pilote d’avion des années 1930

En escadrille 1927

BREVET DE PILOTE
Ainsi formé par l’Ecole Caudron, Pierre obtient son brevet militaire de pilote d’avion le 31 janvier 1927. Il effectue son service militaire comme pilote élève à Istres (Bouches du Rhône) de février à mai 1927, puis comme pilote d’escadrille de bombardiers en Allemagne à Neustadt de juin à novembre 1927, et enfin à Metz jusqu’en août 1928. Il continue à écrire très régulièrement à sa famille.

Breveté le 31 janvier 1927

L’EXPLOIT DE L’AUDACIEUX LINDBERG

23-5-1927
Cher Papa, chère Maman

Je viens de recevoir votre lettre et m’empresse de vous y répondre. J’ai passé l’examen militaire : la technique, armement, technique moteur, avion Br. 14. Mes notes sont très bonnes, la moyenne générale est 15. Demain à 10h j’aurai fini l’examen de réglage. Je n’ai pas encore passé mon examen de sortie de pilotage mais j’ai déjà 17 h de vol dont 3h de vol de groupe. Je suis le meilleur pour cela ; mon moniteur est fort content de moi. Je ne demande pas mieux car comme je travaille encore cette semaine, j’atteindrai les 20h pour l’examen où je volerai à côté d’un sergent pilote élève. La semaine prochaine je déménagerai pour les vols de nuit, avec Locquet je ferai le 2ème. La vie y est moins compliquée qu’ici surtout qu’il y a un lieutenant qui s’en occupe et absolument indépendant de toute autorité.
Le lieutenant Adam m’a dit que j’irai en attendant mon affectation à Chartres ; j’en ai donc pour 3 mois encore. En ce moment le mistral souffle avec une telle violence qu’il arrache les arbres de la cour. Si l’on sort il faut se cramponner aux bâtiments si l’on ne veut être jeté par terre. Il faut dire que jamais je ne l’ai vu si fort. En plus le vent s’engouffre aussi dans notre chambre par les fenêtres où il s’est percé une entrée. Je suis forcé de tenir ma lettre dont le bord se replie sur mon stylo. Je souhaite à Paul toute réussite pour son bachot et à Annie de profitables entrevues avec cet as du clavier que Perlmuter.
J’ai appris aujourd’hui l’exploit de l’audacieux Lindberg ; je serais curieux de savoir si Paris fut aussi enthousiasmé que le relatent les journaux ?
Excusez moi auprès de Taty de ne pas lui avoir envoyé de carte cette semaine car le temps m’a manqué. Dites lui surtout que je la félicite de s’être si rapidement rétablie.
En vous souhaitant une bonne semaine, je vous embrasse tous deux ainsi que Paul et Annie.

Pierre

Pharabod et Girod sur Bréguet 19

UN APPAREIL DE 2500 kg

Neustadt, le jeudi 14 juillet 1927
Cher Papa, chère Maman

Enfin me voici en escadrille après avoir fait une heure 1/2 de Br.19 seul à la section. Le lieutenant de mon escadrille me fit savoir que je pourrai voler maintenant sur mon appareil…
Je viens de recevoir à l’instant le paquet que vous m’aviez annoncé, et vous avez eu la meilleure idée de m’envoyer un flacon d’alcool de menthe que j’avais déjà infructueusement essayé de trouver. Le pâté et la crème de gruyère me rendront surtout service la semaine prochaine car il faut être prévoyant ici.
Ce matin j’ai participé en tenue au défilé à Neustadt. C’est à pied avec l’équipement de guerre que le 12e R.A.B. musique en tête arriva à Neustadt. Et sur la place de la gare le colonel médailla 3 officiers. Après une promenade avec le drapeau dans la ville, on prit le chemin du camp. Ayant fait ainsi une 20e de km sous un soleil brûlant, un soldat de la C.O.R eut une insolation et un grand nombre ont de violents maux de tête ; moi j’avoue qu’à cause du soleil je n’aurais pas continué s’il avait fallu aller plus loin. Il faut dire que l’on n’a pas une minute de pause. A midi, contrairement à l’ordinaire, nous avons très bien mangé.
Je finis les cours d’élève caporal pilote le 25, c’est enfin alors que je pourrai après l’examen attendre mes 2 ficelles. Cela ne me presse guère car j’aurais peut-être plus de travail comme la « semaine » ou la garde et rien ne me déplait comme le commandement ; étant exempt de corvées, je n’ai pas trop à me plaindre, surtout que j’ai très peu de service.
Le temps ici est très orageux et il y a un orage presque tous les soirs et encore avant-hier soir alors que je volais, les premiers éclairs étaient à 2 ou 3 km et à la même hauteur que mon appareil.
Dans la lettre reçue il y avait un résumé fait par Paul de la conférence dont vous m’aviez parlé sur le compas Pionner de Lindberg. Il est comme je le remarque de conception aussi hardie que son utilisateur. Sur mon appareil j’ai un compas magnétique A.M.1. à barreaux aimantés ; la rose à flotteur étant dans l’eau, il est très bien compensé et je vois mon cap au compas dans un prisme de verre, et pour un compas « grand raid » il n’a pas la complication du Pionner tout en étant précis.
Je me porte toujours à merveille et à tout point de vue. Quant à ces travaux d’infanterie, c’est terminé, c’était un passage comme cela. Mon entraînement sérieux est toujours aussi bon. À ce moment l’année dernière au Crotoy je n’arrivais pas encore à avoir un petit bond d’un appareil léger de 30 HP, et maintenant avec un appareil de 2.500 kg arraché par un 450 HP en quelques secondes, à 500 m je tiens couramment une vitesse de 200 kilomètres à l’heure.
Je pense que vous allez toujours aussi bien et je vous remercie du colis. Je vous embrasse de tout mon cœur ainsi que Paul et Annie.

Pierre

Pilote, mitrailleur et mécanos du B.19

UNE PANNE D’ESSENCE

Samedi soir, 8 octobre 1927
Mon cher Paul

Je t’écris ce soir car voilà une semaine qui fut animée ; je pense recevoir une lettre de papa et maman demain à laquelle je répondrai.
J’aurais à te parler d’une panne d’essence en campagne allemande :
Mercredi soir je partais sans mission sur mon appareil pour un vol libre à 4h du soir. J’avais la moitié de mon plein, 130 l. En me promenant j’allais en 40’ à Strasbourg en remontant le Rhin, je survolais la ville, le port avec ses quantités de magasins, docks, jetées, etc., le terrain où quelques Nieuport exécutaient d’étourdissantes acrobaties. Je revenais à 1000 m environ en redescendant le Rhin quand la brume du soir tombait rapidement. Je me voyais dans les Vosges, seule la visibilité verticale était assez bonne. Je suivais longtemps les lacets du Rhin, non plus pour Neustadt que j’avais laissé dans son brouillard, mais pour Worms Mayence en bordure du Rhin où il faisait plus clair. J’arrivais enfin dans cette région fort soulagé … aussi en essence il me restait 15’. Je songeais à atterrir, en allant vers l’ouest du Rhin, résolument je spiralais au dessus d’une petite ville dont les alentours semblaient assez plats et traversés par un chemin de fer. Je me posais le long de cette ligne en travers de petits champs labourés, je coupais. Les paysans qui avaient fui d’abord revinrent. En demandant ma position je pus comprendre à leurs investigations que j’étais près de Mayence, quand dans le nombre on me présenta un jeune homme ayant étudié le français. J’étais à 35 km de Mayence et à 10 km d’Alzay, le bourg à 1 km duquel j’étais atterri était Gan Oppenheim. Je laissais à mon mécanicien la garde de l’appareil et me dirigeais vers la ville escorté d’une centaine de personnes. La poste étant fermée, un riche particulier m’offrit le téléphone, alors je communiquais avec mon régiment, puis avec mon escadrille. Il était 8h. Après avoir remercié, je revenais à mon appareil en longeant la voie ferrée ; nous passâmes ainsi la nuit à garder l’appareil. Je te garantis qu’il ne faisait pas chaud, nous étions en combinaison de toile et il gelait. Au petit jour je repartis pour la ville, téléphonais à l’aéro-parc de Mayence de m’envoyer 100 l d’essence et commandais du 12 R.A.B. à midi une voiture du 33e R.A.O. (Mayence). Ils arrivèrent à travers champs. Pendant que l’équipage faisait le plein, je faisais les reçus et formalités avec le sergent mécanicien dépanneur. Ensuite je reprenais place dans mon appareil, le mis en route ; l’essai du moteur fut bon mais eu l’inconvénient d’attirer au moins 200 personnes. Je pus quand même décoller dans le champ de luzerne attenant, et en 2h sonnant je faisait mon tour de piste et prenais ici ma piste. Je m’étais aperçu que devant le Bessonneau de la 10 il y avait un grand attroupement ; à mon grand étonnement on s’était inquiété à l’escadrille. Le matin le lieutenant avait fait fréter son appareil et était parti à ma recherche qui fut infructueuse. L’après-midi toute l’escadrille devait partir car on croyait que j’avais « au moins » cassé l’appareil. Deux heures après mes télégrammes arrivaient ! Heureusement que j’avais téléphoné de Mayence… Et maintenant, rapports sur rapports, compte-rendu de nullité de dégâts, etc. et j’en ai jusqu’à demain. La nuit de jeudi j’ai pris mon tour de garde qui tombait ce jour. J’étais ainsi resté 1 jour sans manger et 2 jours et 2 nuits sans dormir. Sans cela je ne suis aucunement fatigué et mon rhume fini. A Gan Oppenheim il y avait comme partout une grande fête en l’honneur de leur président.
Je pense que ton travail réussit et qu’il y en a assez d’éliminés dans ta classe.
En attendant demain une lettre, je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que Papa, Paul (sic) et Annie.

Ton frère Pierre

Brevet de navigateur du 5/7/1929

UN ATTERRISSAGE FORCÉ

Lundi 16 janvier 28
Cher Paul

Me revoilà complètement revenu à la vie d’escadrille depuis hier soir. Cet après-midi j’ai volé 1/2 heure sur un autre appareil par une pluie battante qui ruisselait sur mes plans gonflés par le vent. Je fus forcé d’atterrir un peu prématurément à cause de ratées du moteur. J’ai quand même pu aller jusqu’à Thionville. Cette après-midi une équipe de bleus nettoyait la boue de mon appareil pendant que quelques mécanos démontaient l’hélice fendue. L’appareil et surtout l’hélice furent examinés par plusieurs officiers qui manifestèrent leur étonnement d’avoir pu emmener sur 100 km mon appareil avec une hélice en si mauvais état. Quant à moi j’ai acquis une confiance illimitée dans le moteur Renault qui put supporter, surtout au sol, de si grands efforts.
Demain matin je recommencerais mes cours de sous-off. interrompus.
Je pense recevoir bientôt une lettre de Maman. Je pense aussi que tu es en excellente santé et que tes études se poursuivent brillamment.
Je t’embrasse de tout cœur ainsi que Papa, Maman et Annie.

Ton frère Pierre

 

BREVET DE NAVIGATEUR

Au retour de son service militaire, Pierre travaille comme agent technique aux Ateliers France Aviation à Boulogne Billancourt (donc pas de courriers à sa famille d’août 1928 à juillet 1929 : il habite chez ses parents, 66 rue d’Assas). Mais son objectif est de devenir pilote de ligne. Il obtient le brevet de navigateur le 2 juillet 1929 et entre à vingt et un ans à l’Aéropostale. Deux ans durant, il effectuera des vols réguliers Toulouse-Casablanca et Marseille-Barcelone.