Raid fatal fin 1935
DECEMBRE 1935
En cette fin 1935, le Ministère de l’Air met en jeu des primes importantes pour faire progresser les liaisons aériennes. Revenu d’Alger en septembre 1935, Pharabod prépare avec Théodore Klein un raid Paris-Madagascar par l’Afrique de l’Est. Il fait réaliser aux ateliers Blériot de Suresnes un avion rapide, le Maillet-Lignel 20. Partis du Bourget le 27 décembre, ils font escale à Tunis, puis Syrte et Wadi Halfa. Retardés une journée à Wadi Halfa par les autorités anglaises, les aviateurs trouvent la mort sur le Nil lors du décollage.
Le 27 décembre 1935, Pharabod et Klein s’attaquent au record Paris Madagascar, comme le relatent les journaux.

LES RAIDS AERIENS
Pierre Pharabod et Klein sont partis pour Madagascar.
Ainsi que nous l’avions annoncé, Pierre Pharabod et Klein sont partis ce matin du Bourget vers Madagascar.
C’est devant le dernier hangar militaire de Dugny que se trouvaient réunis dès 9 heures, autour de l’avion blanc, mécaniciens et « pompistes » assurant le ravitaillement en essence. Le vent soufflait en effet du sud-ouest et obligeait ainsi ce dispositif de départ. De nombreux officiers et hommes de troupe des formations aéronautiques du Bourget se pressaient près de l’appareil tandis que quelques amis entouraient Klein, précédant son coéquipier. À dix heures, le plein d’essence : 565 litres, est accompli. Pharabod arrive alors avec ses papiers de bord et les derniers renseignements météorologiques. « Vents debout jusqu’à Khartoum, nous dit-il. Plus loin, les circonstances atmosphériques sont favorables. Ce serait trop beau, si d’ici Madagascar, la route était tout à fait dégagée. Ces vents contraires me forceront à m’arrêter pour refaire le plein d’essence à Tunis alors que je n’envisageais mon premier arrêt qu’à Syrte ».
Tandis qu’un contrôleur de l’Aéro-Club appose sa signature et un cachet sur les ailes, le fuselage et le capot, Pharabod prend place à son poste de pilotage et ajuste son parachute. Klein, après avoir embrassé sa femme, monte à son tour, devant Pharabod. Dernières recomman-dations. Réglage de l’altimètre. Contact. Au premier appel, le moteur part. Pendant quelques minutes, Pharabod qui fixe à sa tête une petite lampe électrique et note par écrit certains renseignements, laisse chauffer le moteur. À 10 heures et demie, dernier essai plein gaz au point fixe, puis l’ordre est donné d’enlever les cales, et, à 10 heures 32 minutes 55 secondes exactement, le Maillet-Lignel 20 F.AOKO s’ébranle dans le souffle de son hélice qu’anime un moteur Régnier, un 6 cylindres inversé de 180 CV. Tous les yeux suivent le petit avion qui s’estompe, 15, 20, 23 secondes s’écoulent. Pharabod laisse son appareil prendre son maximum de vitesse de roulement et l’arrache alors du sol : en 29 secondes exactement. Sous le trait horizontal blanc dans le ciel, couleur de perle, que forme l’avion en vol, on voit s’éclipser le train d’atterrissage amovible. La lutte contre l’Espace et le Temps des deux hardis pilotes est commencée.
Rappelons que le récent record de Génin et de Robert sur Paris – Madagascar avec un Caudron-Renault « Simoun » est de 2 jours 9 heures 32 minutes. Pour battre ce record, Pharabod et Klein devraient être arrivés à Tananarive avant 8 heures du soir (G.M.T.) samedi. –Ph R.
(Journal de Débats du Monde)

L’INTRANSIGEANT 27-12-35
Pharabod et Klein sont partis
pour tenter de battre
le record Paris-Tananarive
…que détiennent depuis la semaine dernière Génin et Robert, avec 2 jours 9heures 42 minutes.
Pharabod et Klein tentent de battre le record Paris-Tananarive – 10.000 km – que Génin et Robert ont porté la semaine dernière à 2 jours 9 heures 42’.
Avec l’avion de sport Maillet-Lignel 20-2 – Régnier 180 CV, à hélice à pas variable et à train d’atterrissage escamotable, Pharabod et Klein ont pris leur vol du Bourget ce matin, jeudi, à 10 heures 32’ 55 1/5, après avoir décollé en 28 secondes 2/5.
Cet équipage, composé de deux anciens pilotes de ligne – Pharabod et Klein servirent ensemble à l’Aéropostale et Pharabod vient de quitter Air Afrique -, a établi un tableau de marche que l’on peut qualifier, sans exagération, de sensationnel, surtout en période d’absence de lune.
Pharabod est toujours détenteur du record Paris-Tananarive en passant par le Tanezrouft et Gao, avec 5 jours 23 heures. Avec l’avion de sport que Lignel a mis à sa disposition, il va essayer de reculer encore les limites de la résistance humaine en se faisant seconder par Klein. Il profitera, bien entendu, des avantages accordés par l’application des formules modernes et qui s’exprime, en bref, par un accroissement important de la vitesse maximum.
Génin et Robert ont réalisé 2 jours 9 heures 42’ avec un avion qui atteint la vitesse maximum de 292 kilomètres-heure et un rayon d’action de 3500 kilomètres. Pharabod et Klein ont un appareil qui vole à 325 kilomètres à l’heure et peut couvrir 3000 kilomètres avec sa provision de 560 litres d’essence.
La prime de 500.000 francs du Ministère de l’Air sera attribuée avant le 31 décembre au pilote ou à l’équipage qui aura couvert les 10.000 kilomètres de Paris-Tananarive en 43 heures. Génin et Robert sont détenteurs provisoires de la prime de 150.000 francs pour avoir battu, avec 57 heures 42’, le record précédent, 85 heures 18’.
Pharabod et Klein n’ont rien de moins que l’ambition d’atteindre Tananarive après demain samedi, à 3 heures (heure de Paris), soit 41 heures en chiffre rond après leur envolée du Bourget. Ces 41 heures se décomposent ainsi : 37 heures de vol et 4 heures pour les ravitaillements en essence et huile à Tunis, Sirte, Wadi Halfa, Juba, et Dar es Salam.
L’escale à Tunis est rendue obligatoire en raison du vent debout de 100 kilomètres-heure que Pharabod et Klein n’ont pas craint d’affronter.
Si Pharabod et Klein battent seulement le record de Génin-Robert, 57 h 21’, ils s’adjugeront la prime de 150.000 francs.
-R.P. de T.

LA FIN TRAGIQUE DE PHARABOD ET KLEIN
La brillante randonnée aérienne Paris-Madagascar et retour de Pharabod
Les journaux suivent le raid et annoncent le drame :
PARIS SOIR
Mardi 31 décembre 1935
Trop lourdement chargé l’avion de Pharabod
n’avait pu prendre de la hauteur
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Il prit feu en retombant au sol et c’est avec grand peine qu’on parvint à dégager les deux aviateurs
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Pharabod avait cessé de vivre ;
Klein, les deux jambes brisées
et de multiples brûlures sur tout le corps a succombé ce matin au Caire
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De son côté, Saint-Exupéry, poursuivant son raid vers Saïgon, a quitté Benghazi à 22 heures 30 en direction de Bassorah
JOURNAL DES DÉBATS DU MONDE
Mardi 31décembre 1935
PIERRE PHARABOD
Il avait vingt-sept ans. Hier, une pierre, un fossé, une baisse de régime du moteur – saura-t-on quoi ? – sur ce terrain égyptien de Wadi-Halfa où, depuis quarante-huit heures, lui et son compagnon Klein, attendaient de pouvoir repartir vers la Grande Ile, a mis un terme à sa jeune vie. Le petit avion blanc s’écrasa. On retira Pharabod expirant, Klein blessé.
Il y a trois mois, au cours d’un déjeuner, ce fut pour moi la première fois qu’il me parla de son projet de raid. Une lumière d’octobre pénétrait dans ce petit restaurant du boulevard Saint-Germain où nous étions assis l’un près de l’autre ; il avait sorti un crayon et, sur la nappe rose dessinait l’itinéraire : Syrte, Wadi-Halfa, Juba, Dar-es-Salam, Tananarive. Je regardais ce grand garçon, aux cheveux noirs, la peau toute bistrée de ce soleil d’Afrique dont il semblait s’être à jamais imprégné dans ses nombreuses traversées du Sahara. Il rentrait de là-bas, ayant quitté la Régie après avoir accompli plus de 250 000 kilomètres d’Alger à Brazzaville. « Allons voir l’appareil », me dit-il, « mais surtout ne parlez pas encore de tout cela. Il y a encore tant de choses à régler ». Je promis.
Nous trouvâmes chez Blériot, à Suresnes, le petit avion encore sans ailes, le fuselage à claire-voie. Je vis Pharabod s’installer dans la carlingue, prendre des dimensions, repérer l’emplacement d’un compas. Une heure durant il régla différentes choses. « Il vient tous les jours », me dit un ouvrier. En fait, rien ne le peignait mieux que ce souci du détail. Méthodique à l’extrême, calme, secret, sérieux, indépendant, d’aspect extérieur un peu bourru pour ceux qu’il ne connaissait pas, Pharabod, navigateur merveilleux, était le type même du pilote de raid.
Il était né à Saint-Servan, un jour de juillet 1908. Dix-huit ans plus tard, il obtenait son brevet de pilote. Après une année de service militaire, le jour de ses vingt et un ans, l’Aéropostale l’acceptait comme pilote de ligne. Deux ans durant, il emmena le courrier entre Toulouse et Casablanca. De ce premier contact avec l’Afrique devait naître pour Pharabod une vocation précise : aller plus avant dans ce continent noir, au seuil duquel il arrêtait chaque semaine son vieux Latécoère bleu.
Sur ces entrefaites l’Aéropostale disparaît. 1931 le voit chef pilote de l’Aéro-Club de Paris déployer une activité éclairée, mais de courte durée, car il put enfin réaliser son rêve : retourner vers l’Afrique. Il entreprend, en février 1932, avec un Caudron « Luciole », un voyage Paris-Brazzaville en suivant la côte de l’Atlantique jusqu’à Pointe Noire. Ce voyage par petites étapes devait se terminer au Sud de Bourem dans le Sahara, par une panne de moteur définitive. Il n’était que le prélude inachevé du grand raid qui, deux ans plus tard, plaçait Pierre Pharabod au premier rang des pilotes français.
Ce raid c’est une liaison Paris-Tananarive en 5 jours 22 heures 50 minutes, en passant par l’A.O.F. et l’A.E.F. (temps record sur ce parcours), réalisé en 1934 sur un Caudron « Phalène » à moteur Hispano-Suiza 150 CV. Parti de Toussus-le-Noble le 3 avril, Pharabod se posait le 9 avril à Tananarive, après avoir fait escale à Oran, In-Salah, Reggan, Bourem, Niamey, Libreville, Bandenudu, Luluabourg et Tête.
En juin 1934 Pharabod entrait à la Régie Air-Afrique. Il accomplit les voyages d’essais, puis devint chef de bord. Le 4 juillet dernier, lorsque la Régie Air Afrique fêta son 250.000ème kilomètre, Pierre Pharabod totalisait le plus grand nombre de voyages.
Sur cette terre d’Afrique qui l’a tant attiré, Pharabod, à cette heure, repose. Il est mort en pleine action, en plein rêve de succès. Dans les grandes compétitions de 1936, il aurait joué un rôle de premier plan. Peu de pilotes avaient, à vingt-sept ans, un tel passé et un tel avenir. Le destin n’a pas voulu que sa belle carrière aux prémisses si riches poursuivit son cours.
Philippe ROLAND
FEDOR KLEIN
Fedor Klein, qui se trouvait sur le Maillet-Régnier avec Pharabod, n’est que blessé. D’origine russe, né à Moscou en 1905, Klein, après s’être fait naturaliser français, accomplit son service militaire dans l’aviation maritime. Blessé grièvement durant la guerre du Maroc, il entre ensuite, comme Pharabod, à l’Aéropostale et transporte d’abord le courrier entre Marseille, Casablanca et Casablanca-Dakar, puis il passe sur le réseau de l’Amérique du Sud et devient pilote de la Cordillière entre Buenos-Aires et Santiago-du-Chili. À la suite des incidents qui amènent, en 1930, l’Aéropostale à se défaire d’une partie de son personnel, Klein devient pilote d’essais. Ses grandes qualités et sa science du vol le conduisent à mettre au point certains appareils spéciaux plus ou moins doués de bonnes qualités aérodynamiques : métier périlleux dont il se tire avec succès. Son activité quelque peu ralentie ces derniers temps attendait de ce raid avec Pharabod la consécration publique et la notoriété d’une tâche continue mais obscure d’excellent pilote.
– Ph. R.

L’INTRANSIGEANT
Mercredi 1er janvier 1936
L’inquiétude grandit sur le sort
de Saint-Exupéry et de son mécanicien
Un accident s’est produit près de Mersa Matrouh (Egypte), mais rien ne permet encore d’affirmer qu’il s’agit de l’avion de l’aviateur français.
L’AVIATION
Raids et records (extraits)
L’année 1935 s’est achevée, pour l’aviation sportive sur une série de coups durs et de pertes douloureuses qui ont provoqué une vive émotion….
… N’oublions pas qu’il s’en est fallu de quelques heures seulement pour qu’à la perte de Pharabod et Klein nous ayons à ajouter celle de Saint-Exupéry et Prévost.
DEDICACE DE TERRE DES HOMMES
Pour mademoiselle Annie Pharabod
Dont le frère a été un de mes camarades de ligne.
Avec toute ma grande estime pour sa valeur professionnelle, son courage et son enthousiasme
Et avec un souvenir d’autant plus fraternel que l’accident que je raconte dans ce livre a eu lieu pendant la même nuit et sur la même terre d’Egypte que l’accident qui a enlevé Pierre Pharabod à sa famille et aussi à ses camarades.
En très amical hommage
Antoine de Saint Exupéry