Aéropostale 1929
Au retour de son service militaire, Pierre travaille comme agent de fabrication aéronautique à la Compagnie Française d’Aviation à Boulogne Billancourt (donc pas de courriers à sa famille d’août 1928 à juillet 1929 : il habite chez ses parents, 66 rue d’Assas). Mais son objectif est de devenir pilote de ligne. Il obtient le brevet de navigateur le 2 juillet 1929 et entre à vingt et un ans à l’Aéropostale. Deux ans durant, il effectuera des vols réguliers Toulouse-Casablanca et Marseille-Barcelone.

LA VIE A TOULOUSE
Dimanche 14 juillet 29
Cher Papa, Chère Maman
Me voici déjà un peu plus au courant de la vie de Toulouse et je vais d’ici peu de jours quitter l’hôtel pour avoir une chambre personnelle.
Quand je suis revenu lundi matin au siège de l’Aéropostale, c’est M. Vanier inspecteur de la ligne qui m’a reçu très courtoisement. Il m’a fait remarquer que d’après les nouvelles lois, je ne pourrai avoir ma licence passager qu’après un an de lignes postales. Ce sera très ennuyeux puisque je serai obligé de refuser les passagers des escales mais nous sommes pas mal dans ce cas. Je crois que cette réglementation ne pourrait pas se différer par une protection quelconque. Quoique étant accepté comme pilote à la compagnie, je n’ai pas encore commencé mon entraînement pour la raison que j’attends de St Malo un extrait de casier judiciaire exigé par le service des assurances. Voilà une semaine que j’attends. J’ai envoyé un télégramme hier, mais il serait déplorable que cela mette un mois comme à Paris.
Tous les jours je travaille avec une dizaine de pilotes la navigation astronomique principalement qui devient indispensable pour les nouveaux parcours. J’ai déjà fait des observations au sextant du soleil en faisant des calculs comme les navires c. à d. les éphémérides nautiques et la table de Bertin. Nous avons aussi commencé l’astronomie, mais ce cours dégénère la plupart du temps en philosophie. Dans un mois, nous ferons des observations et calculs du point en vol en même temps que nous serons éduqués au vol sans voir et peut être au ravitaillement en vol pour courriers chargés.
Il y a bien des radios mais les indications étant souvent fantaisistes on préfère que les pilotes aient la pratique de la navigation, surtout pour la ligne Sahara – Madagascar qui va se faire bientôt et les plus vieux pilotes de la ligne affirment que c’est le seul moyen de traverser en sécurité les contrées désertiques africaines. Il en résulte même maintenant que les courriers font Toulouse – Casa sans escale et Casa – Dakar.
Les pilotes sont considérés à la C.G.A. tout en étant très suivis dans leurs travaux ; leur engagement ne se fait qu’après enquête de trois mois. Si je suis le plus jeune et de beaucoup en pratique du vol à la C.G.A. c’est surtout paraît-il à mon brevet de navigateur que je dois cela car les directeurs y attachent une si grosse importance que des pilotes viennent d’être relevés momentanément de leur service pour suivre les cours six heures par jour. Voici les résultats de la plus grande compagnie qui travaille depuis dix ans.
J’ai comme camarade M. Decombes que j’avais connu à Orly, ancien pilote d’hydro au Congo, qui est là depuis un mois et va partir pour sa reconnaissance de la ligne demain. M. Costa qui était pilote d’hydravions au Pecq sur la Seine et qui dessine sur les ailes. Ceux que l’on m’a indiqués sont partis au diable.
J’ai vu M. l’abbé Noubel qui est très bien et je vais voir pour une chambre qu’il m’a indiquée. Il dirige à Toulouse l’Association des Étudiants Catholiques.
Ici il n’a pas arrêté de faire une chaleur torride depuis que je suis là, si bien que certaines personnes portent des casques coloniaux.
J’ai bien visité Toulouse qui est incomparablement plus grand et intéressant que Metz, à peu près comme Bordeaux. Les gens à Toulouse vivent presque la moitié de la journée dans d’immenses cafés-bars et compagnies qui pullulent. Les grands boulevards en sont pleins de plus grands que ceux de la Paix par exemple et à 9h on défie de vous trouver une place.
Cet après-midi je suis allé avec Decombes sur les Pyrénées à 80 km d’ici. On les voit un peu d’ici mais cela ne suffit pas.
Dites moi si vous êtes à St Lambert et si vous passerez aussi de bonnes vacances.
Je vous embrasse de tout cœur ainsi que Paul et Annie.
Pierre

M.DAURAT EST REVENU
Toulouse le 20-11-1929
Mon cher Paul
Je profite qu’il fait du vent d’Autan pour t’écrire et que j’attends le commencement du cours de navigation.
Cette semaine il y a eu du neuf ici. Lundi M. Daurat, l’ancien directeur parti en Amérique plusieurs mois en inspection, est revenu prendre ses fonctions. Le matin du lundi on vole un peu sur Br. 14 et l’après-midi ce fut l’examen en sa présence, qui consistait en un vol de 10 mn et un deuxième atterrissage et prise de terrain de 800 m sans moteur sur Br. 14 chargé. J’ai bien effectué ces vols après quoi l’ancien directeur me présenta à M. Daurat qui conversa durant 1/2 heure avec moi et m’appris que mes vols d’essais l’avaient satisfait. Tard dans la soirée on continua par des vols de nuit. Avant d’en faire seul j’en fais en passager, mais avant de prendre le Laté 26, Audrant pris le terrain de travers, heurta une maison qui borde malencontreusement la piste et brisa totalement le gros appareil. Il en sortit indemne. Cet incident arrêta les vols ce soir là et nous les avons repris de jour le lendemain. Je crois pouvoir aller à la fin de la semaine à Casa à deux pilotes.
Je pense que tout marche bien rue d’Assas et que je recevrai une correspondance de toi.
Je t’embrasse de tout cœur ainsi que Papa, Maman et Annie.
EXPLOSIONS DANS LE MOTEUR
19-1-30
Cher Papa chère Maman
Vous devez êtres loin de vous figurer que j’écris cette lettre dans la cabine d’un Laté 25 en direction de Casa. En ce moment il fait beau, la mer à gauche et on approche de Castillon de la Plana. Ce matin je suis parti sur un Laté 28 avec Delaunay pour aller directement à Casa emmener le courrier d’Amérique. En arrivant à Barcelone il y a eu deux explosions dans le moteur et … le feu avec la mer ou les rochers comme aérodrome. Pendant que j’éteignais, Delaunay descendit hélice calée en glissade sur la rade de Barcelone, où il écrasa le train d’atterrissage sur un tas de mâchefer après avoir freiné sur l’eau. Après moult formalités, on embarqua le courrier jusqu’au terrain. On a pris un 25 et depuis 1h1/2 on vole et à Alicante je reprendrai place au double poste de pilotage du 28 d’Alicante que nous amènerons directement à Casa. Si j’écris mal c’est que je n’ai rien d’autre que du rembourré. Si tout va bien je reviens mardi toujours en 28 avec mon camarade et j’attendrai d’être de retour pour vous envoyer la présente lettre à laquelle j’ajouterai la réponse à celle que vous m’avez envoyée.

LE TRAVAIL DE MERMOZ
Marignane, le 13-5-1930
Chers Parents
Je vous remercie de la lettre que je viens de recevoir. Hier je suis arrivé du courrier de nuit. En ce moment c’est relativement dur à cause du vent N.W. plein de remous et de grains.
Je pense que vous avez su le travail de Mermoz ayant traversé l’Atlantique Sud en 20 h. Le courrier mettra ainsi trois jours de Toulouse à Buenos-Aires ; je m’intéresse aussi beaucoup à la prochaine traversée de Delaunay. J’ai vu son appareil à fond, il a trois postes de T.S.F. Il va partir mercredi pour St Louis.
Je pense n’avoir besoin de rien en ce qui concerne l’habillement étant donné que Marseille est une ville très bien achalandée. Toutefois les pantalons de flanelle de chez Latreille n’étant pas mal, maman pourrait en prendre un. Mais si j’ai une commission à vous demander, ce serait d’aller chez Blondel et Rougerie me demander un itinéraire Marseille-Barcelone au 1/200.000 qui me permettra de situer les terrains et zones atterrissables que j’ai repéré ainsi que les phares côtiers. Ce que je veux c’est la côte (prise dans une bande de porte carte) et suffisamment de terre pour voir Montpellier, Narbonne, Perpignan, Géronne en Espagne. Je vous rappelle l’adresse : 7 rue St Lazare.
Je t’envoie deux photos prises par les mécaniciens de Barcelone. Sur le groupe, c’est le chef d’aéroplace qui est près de moi. Ce ne sont que des essais aussi les deux prochaines que je vous enverrai seront mieux réussies.
Je viens de prendre une chambre particulière dans Marignane, un lieu que je vais intégrer ce soir bien que je reste au Ferréol pour mes repas car c’est le quartier général des pilotes.
Je vous embrasse de tout mon cœur ainsi que Paul et Annie.
Pierre

INSTRUCTEUR DE VOL A VOILE
Toulouse 26-8-30
Chers Parents
J’ai reçu hier votre lettre et je vous réponds du terrain car mes soirées sont prises en vol à voile ou T.S.F. C’est Sautereau qui est allé chercher l’autre Moth et jusqu’ici je n’ai pas fait grand chose depuis mon retour de Paris à cause du nombre de vieux pilotes en attente de départ pour l’Amérique qui font leurs essais sur la ligne comme Favreau, Sautereau, mais je pars tout de même demain ou au plus tard vendredi ce moment était d’ailleurs à prévoir mais cela change si vite… Paul m’excusera de le faire attendre un peu mais il n’y perdra pas s’il a le temps. Dans mon retour de Paris, je suis passé par Tours et Bordeaux et j’ai mis 5 heures de vol. Sautereau qui est revenu Dimanche en a mis 7 à cause du vent et il s’est servi de mes cartes de temps de route. À part cela je fais l’instructeur en vol à voile et lorsque j’aurai le brevet C de vol à voile le directeur de la société me laissera lors de mon passage à Toulouse le contrôle de ses deux écoles ; il y a déjà 20 élèves en bons progrès avec deux moniteurs. Ici il fait très chaud (32°C) et très beau. Je pense qu’il en est de même à Paris et que vous faites de belles promenades. Je vous embrasse de tout cœur ainsi que Paul et Annie.
Pierre
EN ATTENTE D’AFFECTATION
27-9-30
Chers Parents
Excusez moi de n’avoir pu répondre dès le reçu de votre dernière lettre. Mais je crois avoir bien fait d’attendre. En effet je viens d’apprendre d’un inspecteur qu’il fallait prendre notre congé avant la fin de l’année car pendant au moins un an après nous ne pourrons plus en avoir vu nos occupations. Je vais attendre confirmation et j’irai passer quelques semaines à Paris. Je vais d’ailleurs vous envoyer une carte pour vous dire le résultat dès que je le saurai ; d’autre part si vous ne m’avez pas envoyé déjà les affaires, je les trouverai à Paris.
En ce moment il y a Delaunay et Dubourdin qui sont revenus de leurs congés, ainsi que les pilotes américains Mermoz, Étienne, Guillaumet. Tout cela renforce l’actif de Toulouse (car la révolution arrête le courrier dans certaines villes américaines).
La carte que je vous enverrai suivra peut-être de peu cette lettre car il est possible que je sache ces jours ci ma date d’affectation.
Je vous embrasse de tout cœur ainsi que Paul et Annie.
Pierre