Record Madagascar
Après son voyage africain avec De Moustier, Pierre Pharabod reprend ses activités de chef pilote à l’Aéro-Club de Paris. L’arrivée d’un nouvel avion à l’Aéro-Club est pour lui l’occasion d’entreprendre un grand raid Paris-Madagascar précurseur des liaisons commerciales transafricaines. Seul à bord d’un monoplan Caudron Phalène, il réalise en avril 1934 un exploit salué par la presse et par le monde de l’aviation.

LE GRAND RAID
Après son voyage africain avec De Moustier, Pierre Pharabod reprend ses activités de chef pilote à l’Aéro-Club de Paris : vols en double commande, voyages en France et en Angleterre, essais de prototypes (V 50, Lioré et Olivier 20, Léopoldoff L-1). En juillet 1933 il participe au tour de France aérien sur Caudron Luciole C.271 F-ALRJ.
Début novembre 1933, le Caudron Phalène de M. Rescovice est reçu à l’Aéro-Club. C’est un avion de grand tourisme, monomoteur à quatre places, doté d’un moteur Hispano-Suiza de 150 CV. Pierre accomplit avec cet appareil de nombreux voyages en France et des vols de démonstration vers l’Afrique du Nord.
P. Pharabod et A. Rescovice décident de tenter un record de traversée de l’Afrique de Paris à Madagascar. Partis de Paris le 26 mars 1934, ils atteignent Oran en 9h de vol. Mais le mauvais temps au dessus du Sahara les contraint le lendemain à faire demi-tour (survol de Adrar et Reggan) et à revenir à Oran après 9h de vol, et à Alger ; puis retour à Paris le 28 mars en 13h.
Pharabod repart seul le 3 avril de Paris et arrive à Tananarive le 9 avril après un voyage de 12.700 km accompli en 5 jours 23 heures : 82 h 35″ de vol et 40 h 25″ d’arrêt, dont 17 heures de sommeil. La presse fait un large écho à ce raid qui s’inscrit dans la lignée des grands raids de l’époque.
COMMUNIQUE DU GOUVERNEMENT GENERAL
(Tananarive, le 10 avril 1934)
La première étape Toussus-Oran a été effectuée avec atterrissage de nuit à Oran ; après ravitaillement en 2 heures, départ pour Reggan. Le vent de sable régnant sur ce parcours, cette étape fut très pénible en raison du manque total de visibilité, surtout de nuit. Dérivé fortement vers l’Est, le pilote dut rechercher le bordj de la transsaharienne qu’il découvrit après s’être posé à In Salah, après 5 heures de recherches.
Reparti aussitôt vers le Sud, il perdit de nouveau la piste en raison du vent de sable. Navigant au compas, il toucha le Niger en pleine nuit entre Gao et Niamey. Après deux heures de recherches, aucune de ces villes ne put être identifiée, n’étant pas éclairée ; l’aviateur, se repérant aux bancs de sable du Niger, se posa à Bourem à l’aide de ses feux de bord.
Le lendemain, le pilote repartit pour Niamey où après ravitaillement il s’envola, de nuit, pour atterrir au lever du jour à Libreville. Deux heures après, départ pour Luluabourg qui ne put être atteint qu’après arrêt à Bandundu, escale des lignes aériennes belges.
Etape de nuit Luluabourg – Tête dans une suite ininterrompue de tornades.
Et enfin Tête – Tananarive, avec départ de nuit et atterrissage à 11 heures G.M.T. à Ivato dans d’excellentes conditions.

Journal LES AILES | L’AVIATION PRIVEE
LE MAGNIFIQUE EXPLOIT DE PHARABOD
Paris-Tananarive en 5 jours 20 heures, seul à bord d’un Caudron Phalène.
Pharabod, chef-pilote de l’Aéero-Club de Paris, ayant quitté l’aérodrome du club à Toussus le mardi 3 avril, a atterri le lundi suivant 9 avril à Madagascar. C’est un exploit digne des plus beaux.
Le chef-pilote de l’Aéro-Club de Paris, Pharabod, qui avait, fait, la semaine dernière, en compagnie de M.: Rexovice, sur un Caudron-Phalène à moteur Hispano-Suiza de 150 CV, un voyage en Afrique, au cours duquel il avait réalisé de très beaux vols sans escale et; notamment, le vol Paris-Oran en 9 h. 30, vient d’accomplir, cette fois, une performance de tout premier ordre.
Seul, à bord du même avion, Pharabod a relié Paris à Tananarive, en 5 jours 20 heures de voyage. Sur cette route difficile, plus difficile, nous assurait Goulette qui la connaissait bien, que la route d’Indochine, le chef-pilote de l’Aéro-Club de Paris, vient de réaliser le meilleur temps qui ait été obtenu par un pilote seul à bord, et cela sur un avion de tourisme; le record sur cette distance restant à l’équipage Goulette et Salel qui relia Paris à Tananarive en 4 jours 8 heures, sur Farman-Lorraine de 300 CV, en novembre 1931.
Bien qu’au moment de mettre sous presse, nous ne connaissions pas encore toutes les escales du .magnifique voyage, nous pouvons cependant; en tracer, d’une façon suffisamment précise, pour le mettre en valeur, les grandes lignes.
Pharabod partit de Toussus-Paris le 3 avril à 12 h. 10. Ayant survolé une partie de la France et la Méditerranée, il atterrit à Oran, dans la soirée, à 22 h. 30. Il venait de refaire ainsi le voyage qu’il avait fait; quelques jours plus tôt et toujours sans escale. Sans prendre de repos, après ces neuf heures de vol, l’infatigable pilote quitta Oran à 23 h. 14 et partit vers Reggan, soit un parcours d’environ 1.500 kilomètres. Ayant volé toute la nuit et partie de la matinée, il atterrit le 4 avril à 10 heures, à Reggan. De nouveau, sans se reposer, il quitta Reggan à 10 h. 45 et partit vers le Sud en direction du Tanezrouft. A 18 h. 30, c’est-à-dire trente heures après le départ, il atterrit à Gao. Le 5 avril, il arriva à Niamey à 10 heures et vola vers le Congo belge. Il fut signalé à Luluabourg le 7. Il avait atterri là, à 15 h. 15. On ne possède pas encore de détails sur la fin de son voyage. Une étape était prévue à Tête, sur le canal de Mozambique. On sait seulement que Pharabod posa les roues de son Caudron-Phalène à Tananarive le 9 avril, à 11 h. 05. Il avait accompli son voyage à l’allure d’un raid, en 5 jours et 20 heures et s’était révélé, sur ces grandes distances, le rival des Mollison.

Journal L’INTRANSIGEANT
AVEC UN AVION DE TOURISME
La brillante randonnée aérienne Paris-Madagascar et retour de Pharabod
Pharabod, ancien pilote de ligne et chef-pilote de l’Aéro-CIub de Paris, a accompli un très brillant exploit en réalisant un voyage Paris-Tananarive et retour que nous avons suivi avec beaucoup d’attention. Les hauts mérites de Pharabod ont été enfin consacrés.
Fils d’une famille de mathématiciens, pilote breveté, navigateur supérieur, Pharabod est un mystique : il ne vit que pour voler et le ciel est son élément. Et ce n’est pas un aviateuir qui poursuit un autre idéal que celui de connaître les joies supérieures de la navigation aérienne.
Menant une existence effacée, Pharabod ne pouvait espérer entreprendre un raid France-Madagascar et retour que s’il trouvait l’aide indispensable.
Le pilote-amateur Rexovice, propriétaire d’un Caudron « Phalène » Hispano 150 CV, qui connaît particulièrement bien Pharabod et a pour lui beaucoup d’estime, lui prêta son appareil après avoir effectué quelques voyages en sa compagnie. Ce joli geste eut sa récompense.
Pharabod n’avait pas le désir de battre seul le record de France-Madagascar, exactement Marseille-Tananarive, détenu par Salel et Goulette depuis le 27 novembre 1931 avec 4 jours, 7 h. 20. Il délaissa le trajet le plus court, que Lefèvre a parcouru, comme Salel-Goulette, mais en 10 jours et demi, avec un « 40 C.V. », pour en emprunter un autre, beaucoup plus difficile, mais qui peut devenir celui de la ligne France-Congo Belge.
Pharabod n’en a pas moins battu le record de Burtin-Mœnsch : France-Madagascar par Gao, en 6 jours 9 h. 45 m.
Est-ce que les efforts qu’il faut soutenir à tout prix dans une entreprise de ce genre apparaissent tels qu’ils sont en réalité ? Il semble bien que non. Le vent de sable, près de Reggan, qui barre la route et oblige le pilote à s’arrêter à In-Salah et la recherche de nuit du bon itinéraire entre Gao et Niamey sont à retenir particulièrement.
Une série de succès fait croire que tout est devenu facile. Il est vrai qu’il est parfois peu aisé de faire connaître en détail les épreuves subies. Vous représentez-vous le labeur de Pharabod, à chacune de ses escales, après dix ou douze heures de vol, dont plus de la moitié de nuit, obligé de vérifier son matériel, de l’entretenir et d’effectuer les pleins d’essence et d’huile, avec des moyens sommaire. Dix-sept heures seulement entre Paris et Madagascar.
Le plus souvent, Parabod a volé de nuit, que ce soit d’Oran à Reggan ou de Loulouabourg à Tête. Vols audacieux, diront les aviateurs d’Afrique. Mais Pharabod, qui s’était quelque peu familiarisé auparavant avec le continent noir, n’a jamais dédaigné les risques qu’il encourait. Il voulait aller le plus rapidement possible de France à Madagascar et il y est allé, mais non sans peine.
Un accident matériel à Tête : en poussant le « Phalène », des noirs brisent la béquille et le sandow. Pharabod a volé 13 h. 30, dont 11 h. 30 de nuit, et, toujours avec les moyens du bord, il doit procéder à la réparation.
Cinq jours d’arrêt à Tananarive et c’est le retour, un retour qui sera rendu pénible.
Reparti de Tananarive le 14 mars, Pharabod est arrivé à Paris le 29 avril. Un voyage de 15 jours, qui se décompose en 10 jours d’arrêt et 5 jours seulement de vol. Vous notez : 5 jours de vol avec un avion de tourisme de 150 CV, pour couvrir les 12.700 kilomètres de Tananarive à Paris.
Dans le nord de l’Angola, une goupille saute et un axe coince la commande des gaz et la manette du correcteur. Pharabod parvient à obtenir, malgré tout, que son moteur tourne à 1.500 tours-minute. Ce régime est insuffisant ; l’avion s’enfonce ; le pilote se débat comme un forcené pour parvenir jusqu’à une clairière, une piste élargie où il peut atterrir. La manoeuvre est délicate. Pharabod, pourtant très habile, ne peut pas éviter le capotage.
Le bâti-moteur est brisé, l’hélice métallique tordue et trois nervures brisées, Pharabod se met au travail. Une usine, spécialisée dans l’entretien des excavateurs, est mise à sa disposition. Pharabod déploie tant d’ingéniosité qu’il remet tout en état à l’exception des trois nervures.
Les Portugais font préparer un terrain de départ par mille indigènes.
A Niamey, les Français n’ont pas la même obligeance que les Portugais de l’Angola.
Pharabod a couvert sans escale les 1.500 kilomètres de Libreville à Niamey, le survol de la forêt du Gabon a duré 6 heures et demie « la forêt équatoriele est plus terrible que la mer » et en roulant de nuit, sur l’aérodrome de Niamey, l’hélice heurte une voiture de l’administration laissée là on ne sait pourquoi.
+ 48 degrés à l’ombre, et Pharabod et l’agent de la Compagnie Transsaharienne, M. Gleuzer, se transforment en forgeron, pour remettre l’hélice en état.
Aucun fonctionnaire français ne porte de l’intérêt à Pharabod ; l’administrateur apprend ses malheurs et l’abandonne à lui-même. On n’est jamais plus mal reçu que chez soi.
Niamey-Gao, Gao-Reggan, dont une partie de nuit ; Reggan-Oran, Oran-Perpignan et Perpignan-Paris.
Aprèa le retour à Toussus-Paris, où était M. Cayla. gouverneur général de Madagascar, nous demandons à Pharabod quelles conclusions il formule. Il nous répond : « II est possible de voler de nuit en Afrique, mais il faut avoir un poste de T.S.F. Et j’ai été inférieur à mon matériel. »
N’êtes-vous pas étonnés, surpris agréablement, en prenant connaissance de ces deux réflexions ?
Voilà un pilote d’une très grande valeur qui ne retient pas son effort et qui estime qu’il pouvait faire beaucoup mieux. La modestie de Pharabod égale ses qualités professionnelles. � R.-P. de T.

EXTRAITS DU JOURNAL DE BORD
et compte rendu détaillé de la liaison rapide Paris-Madagascar, par Pierre Pharabod:
But de la mission : Entraînement à la navigation nocturne en Afrique et démonstration des qualités du matériel intégralement français.
Matériel employé :
Propriétaire Monsieur Rescovice, industriel
Type Caudron C.289, moteur Hispano Suiza 5 litres, 150 CV.
Accessoires : bougies Avia, magnéto Voltex
Navigation : carte générale et anglaise au 2/1000000e, compas Vion 29, dérivomètre Taximètre.
6, 7/4/34 – 5e étape : Libreville – Luluabourg
Première étape avec survol de la forêt équatoriale du Gabon, absolument dense et uniforme jusqu’à 100km du fleuve Congo qui est bordé à l’Ouest par les plateaux Batékés recouverts de sable et d’herbe rase. Vent debout Est violent accompagné de tornades obligeant atterrissage escale SABENA.
Etape effectuée le lendemain par temps couverts de nuages très bas 50m étant obligatoirement survolés. Nuages s’élevant en se transformant en cumulus et cumulo-nimbus à tornades. Terrain de Luluabourg mal indiqué sur les anciennes cartes belges, se trouve actuellement au Nord de Luluabourg en bordure de la voie ferrée. Dimension approximative 1000x50m. Moteur R.A.S.
7, 8/4/34 – Etape Luluabourg – Tête
Vérification et nettoyage du matériel avant départ de Luluabourg, météo non parvenue (2 jours après départ). Départ de nuit sur un feu d’herbe. Première partie du vol R.A.S. Hauts nuages normaux, base possible 100m, sommet 5000m, traversée P.S.V. vers 3000m. genre mammeto-cumulus diffus, après 3h P.S.V., traversée de cumulo-nimbus à tornades, éclairs sans discontinuer à l’intérieur de chaque muraille s’élevant approximativement à 8000m (Lune s’étant levée à 1h du matin). Remous verticaux ayant déterminés dans la cabine l’arrachement de la caisse d’outils avec ses boulons de fixation aux traverses, du dérivomètre, etc.
Des parties métalliques telles que antenne de Badin, sommet de mats deviennent lumineuses et jaillissent des étincelles (phénomènes fréquents dans ces régions). Traversée des tornades 1h30 par le biais de la ligne. A 2h30 ciel clair, étoiles, Lune à l’horizon. Mise en ordre de la cabine, vérification de sécurité. Tête, atterrissage terrain petit n’étant dégagé que sur le Zambèze. T.S.F. non indiquée sur la ville. Moteur R.A.S.
9/4/34 – Etape Tête – Tananarive
Départ préparé le matin mais sandow de béquille et axe cassés dans la manoeuvre de l’avion en charge. Réparation béquille, départ remis à 0h. Départ de nuit avec feu de brousse au départ. Survol des nuages jusqu’à la côte. Relèvement sur les Îles Primeras. Nuages sur le détroit : cumulus et cumulo-nimbus espacés. Relèvements sur la côte au large de Maintirano après traversée 4h (700km). Atterrissage à Tananarive. Terrain normal mais pyl’nes de T.S.F. de hauteur 150m non signalés entre la ville et le terrain. Vérification moteur R.A.S.
Deux jours d’escale. Réception par l’escadrille d’Ivato, par le Gouverneur, l’Aéro-club de Madagascar.